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relâche depuis qu'il fit partir son croquis; mais il jure, comme un possédé qu'il est, qu'il ne fera jamais paraître l'empereur deux fois; qu'il s'en donnera bien de garde; que cela gâterait tout; que l'empereur n'est en aucune manière Deus in machina, puisqu'il est annoncé dès la première scène du premier acte, et qu'il est attendu pendant toute la pièce, de scène en scène, comme le juge du différend entre le commandant du château et les moines de l'abbaye. S'il paraissait deux fois, la première serait non seulement inutile, mais rendrait la seconde froide et impraticable. C'est uniquement parce qu'on ne connaît point le caractère de l'empereur qu'il doit faire un très grand effet lorsqu'il vient porter à la fin un jugement tel que n'en a jamais porté Salomon. Le bon de l'affaire, c'est que c'est un jardinier qui fait tout; et cela prouve évidemment qu'il faut cultiver son jardin, comme dit Candide.

Comme cette facétie ne ressemble à rien, Dieu merci, mon possédé croit qu'il faut de la naïveté, que vous appelez familiarité; et il croit que cette naïveté est quelquefois horriblement tragique.

Ne trouvez-vous pas qu'il y a dans cette pièce du remue-ménage comme dans l'Écossaise? Je suis persuadé que cela vous aura amusés, vous et madame d'Argental, pendant une heure. Il est doux de donner du plaisir, à cent lieues de chez soi, à ceux à qui on est attaché.

Je ne répondrais pas que la police ne fît quelques petites allusions qui pourraient empêcher la pièce d'être jouée; mais après tout, que pourra-t-on soupçonner? que l'auteur a joué l'inquisition sous le nom des prêtres de Pluton? En ce cas, c'est rendre service au genre

CORRESPONDANCE. T. IX.

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humain; c'est faire un compliment au roi d'Espagne, et surtout au comte d'Aranda; c'est l'histoire du jour avec toute la bienséance imaginable, et tout le respect possible pour la religion.

Voyez, mon divin ange, ce que votre amitié prudente et active peut faire pour ces pauvres Guèbres; mais je n'ai point abandonné les Scythes : ils ne sont pas si piquans que les Guèbres, d'accord; mais, de par tous les diables, ils valent leur prix. La loi porte qu'ils soient rejoués, puisque les histrions firent beaucoup d'argent à la dernière représentation. Les comédiens sont bien insolens et bien mauvais, je l'avoue; mais il faut obéir à la loi. J'ignore quel est le premier gentilhomme de la loi cette année; mais, en un mot, j'aime les Scythes. J'ai envie de finir par les Corses; je suis très fâché qu'on en ait tué cent cinquante d'entrée de jeu; mais M. de Chauvelin m'a promis que cela n'arriverait plus.

Vous êtes bien peu curieux de ne pas demander les Droits des hommes et les Usurpations des papes*; c'est, dit-on, un ouvrage traduit de l'italien, dont un envoyé de Parme doit être très friand.

Une chose dont je suis bien plus friand, mon cher ange, c'est de vous embrasser avant que je meure. Je suis, à la vérité, un peu sourd et aveugle; mais cela n'y fait rien. Je recommence à voir et à entendre au printemps; et j'ai grande envie, si je suis en vie au mois de mai, de venir présenter un bouquet à madame d'Argental. Je devais aller cet automne chez l'électeur palatin; mais je me suis trouvé trop faible pour le voyage. Je me sentirai bien plus fort quand il s'agira de venir vous voir. Il est vrai que je n'y voudrais aucune cérémonie. Nous en raisonnerons quand nous aurons fait les affaires des * Voyez Politique et Législation.

Scythes et des Guèbres. Vous êtes charmant de désirer de me revoir; j'en suis pénétré, et mon culte de dulie en augmente.

Je trouve plaisant qu'on ait imaginé que j'irais voir ma Catau, moi âgé de septante-quatre ans ! Non, je ne veux voir que vous.

CLXXXV.

A M. DE CHABANON.

9 septembre.

Mon cher ami, mon cher confrère, il y a tantôt deux mois que je n'ai écrit à personne. J'avais fait un travail forcé qui m'a rendu long-temps malade. Mais en ne vous écrivant point, je ne vous ai pas oublié, et je ne vous oublierai jamais.

Vous avez eu tout le temps de coiffer Eudoxie, et je m'imagine qu'à présent c'est une dame des mieux mises que nous ayons. Pour Pandore, je ne vous en parle point. Notre Orphée a toujours son procès à soutenir, et son père mourant à soigner. Il n'y a pas moyen de faire de la musique dans de telles circonstances. Est-il vrai que celle du Huron soit charmante? Elle est d'un petit Liégeois que vous avez peut-être vu à Ferney. J'ai bien peur que l'Opéra-Comique ne mette un jour au tombeau le grand Opéra tragique. Mais relevez donc la vraie tragédie, qui est, dit-on, anéantie à Paris. On dit qu'il n'y a pas une seule actrice supportable. Je m'intéresse toujours à ce maudit Paris, du bord de mon tombeau.

*

On dit que l'Oraison funèbre ** de notre ami JeanGeorge est un prodige de ridicule; et pendant qu'il la * Grétry.** L'Oraison funèbre de la reine, femme de Louis XV.(K.)

débitat, on lui criait : Finissez donc. C'est un terrible Welche que ce Jean-George. On dit qu'il est pire que son frère. Les Pompignan ne sont pas heureux. Je n'ai point vu la pièce; mais on m'en a envoyé de petits morceaux qui sont impayables.

J'ai lu une brochure assez curieuse intitulée les Droits des Hommes, et les Usurpations des autres *. Il s'agit des usurpations de notre saint père le pape sur la suzeraineté du royaume de Naples, sur Ferrare, sur Castro et Ronciglione, etc. etc. Si vous êtes curieux de la lire, je vous l'enverrai, pourvu que vous me donniez une adresse.

Adieu, mon cher ami, aimez toujours le vieux solitaire qui vous aimera jusqu'au temps où l'on n'aime personne.

CLXXXVI.

A M. RICHARD,

NÉGOCIANT A MURCIE.

A Ferney, 13 septembre.

Je vous dois, monsieur, une réponse depuis deux mois. Je suis de ceux que leurs mauvaises affaires empêchent de payer leurs dettes à l'échéance. La vieillesse et les maladies qui m'accablent sont mon excuse auprès de mes créanciers. Il n'y en a point, monsieur, que j'aime mieux payer que vous.

Il y a des ouvrages bien meilleurs que les miens, qui pourront contribuer à donner au génie espagnol la liberté qui lui a manqué jusqu'à présent. Le ministre à qui toute l'Europe, excepté Rome, applaudit, favorise cette précieuse liberté, et encouragera les beaux arts, après avoir fait naître les arts nécessaires.

* Cet écrit est de M de Voltaire. R.

Je vous félicite, monsieur, de vivre dans le plus beau pays de la nature, où ceux qui se contentaient de penser commencent à oser parler, et où l'inquisition cesse un peu d'écraser la nature humaine.

CLXXXVII.

A M. THIERIOT.

A Ferney, 15 septembre.

Ma foi, mon ami, tout le monde est charlatan; les écoles, les académies, les compagnies les plus braves ressemblent à l'apothicaire Arnould, dont les sachets guérissent toute apoplexie dès qu'on les porte au cou, et à M. Lelièvre, qui vend son baume de vie à force gens qui en meurent.

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Les jésuites eurent, il y a quelques années, un procès avec les droguistes de Paris, pour je ne sais quel elixir qu'ils vendaient fort cher, après avoir vendu de la grace suffisante qui ne suffisait point; tandis que les jansénistes vendaient de la grace efficace qui n'avait point d'efficacité. Ce monde est une grande foire où chaque Polichinelle cherche à s'attirer la foule; chacun enchérit sur son voisin.

Il y a un sage dans notre petit pays qui a découvert que les ames des puces et des moucherons sont immortelles, et que tous les animaux ne sont nés que pour ressusciter. Il y a des gens qui n'ont pas ces hautes espérances; j'en connais même qui ont peine à croire que les polypes d'eau soient des animaux. Ils ne voient dans ces petites herbes qui nagent dans des mares infectes rien autre chose que des herbes qui repoussent, comme toute autre herbe, quand on les a coupées. Ils ne voient point que ces herbes mangent de petits

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