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le théâtre les amours de Louis XIV avec sa belle-sœur, et que ce monarque lui en sut très bon gré un sot tyran aurait pu le punir. Je remarquerai encore que cette Bérénice si tendre, si délicate, si désintéressée, à qui Racine prétend que Titus devait toutes ses vertus, et qui fut sur le point d'être impératrice, n'était qu'une juive insolente et débauchée, qui couchait publiquement avec son frère Agrippa second. Juvénal l'appelle barbare incestueuse. J'observe, en troisième lieu, qu'elle avait quarante-quatre ans quand Titus la renvoya. Ma quatrième remarque, c'est qu'il est parlé de cette maîtresse juive de Titus dans les Actes des Apôtres. Elle était encore jeune lorsqu'elle vint, selon l'auteur des Actes, voir le gouverneur de Judée Festus, et lorsque Paul, étant accusé d'avoir souillé le temple, se défendait en soutenant qu'il était toujours bon pharisien. Mais laissons là le pharisianisme de Paul et les galanteries de Bérénice. Revenons aux règles du théâtre, qui sont plus intéressantes pour les gens de lettres.

Vous n'observez, vous autres libres Bretons, ni unite de lieu, ni unité de temps, ni unité d'action. En vérité, vous n'en faites pas mieux; la vraisemblance doit être comptée pour quelque chose. L'art en devient plus difficile, et les difficultés vaincues donnent en tout genre du plaisir et de la gloire.

Permettez-moi, tout Anglais que vous êtes, de prendre un peu le parti de ma nation. Je lui dis si souvent ses vérités qu'il est bien juste que je la caresse quand je crois qu'elle a raison. Oui, monsieur, j'ai cru, je crois et je croirai que Paris est très supérieur à Athènes en fait de tragédies et de comédies. Molière et même Regnard me paraissent l'emporter sur Aristophane, autant que Démosthène l'emporte sur nos avocats. Je vous dirai

hardiment que toutes les tragédies grecques me paraissent des ouvrages d'écoliers, en comparaison des sublimes scènes de Corneille, et des parfaites tragédies de Racine. C'était ainsi que pensait Boileau lui-même, tout admirateur des anciens qu'il était. Il n'a fait nulle difficulté d'écrire au bas du portrait de Racine que ce grand homme avait surpassé Euripide et balancé Corneille.

Oui, je crois démontré qu'il y a beaucoup plus d'hommes de goût à Paris que dans Athènes. Nous avons plus de trente mille ames à Paris qui se plaisent aux beaux arts, et Athènes n'en avait pas dix mille; le bas peuple d'Athènes entrait au spectacle, et il n'y entre pas chez nous, excepté quand on lui donne un spectacle gratis, dans des occasions solennelles ou ridicules. Notre commerce continuel avec les femmes a mis dans nos sentimens beaucoup plus de délicatesse, plus de bienséance dans nos mœurs, et plus de finesse dans notre goût. Laissez-nous notre théâtre, laissez aux Italiens leurs favole boscareccie; vous êtes assez riches d'ailleurs.

De très mauvaises pièces, il est vrai, ridiculement intriguées, barbarement écrites, ont pendant quelque temps à Paris des succès prodigieux, soutenus par la cabale, l'esprit de parti, la mode, la protection passagère de quelques personnes accréditées. C'est l'ivresse du moment, mais en très peu d'années l'illusion se dissipe. Don Japhet d'Arménie et Jodelet sont renvoyés à la populace, et le Siége de Calais n'est plus estimé qu'à Calais.

Il faut que je vous dise encore un mot sur la rime que vous nous reprochez. Presque toutes les pièces de Dryden sont rimées; c'est une difficulté de plus. Les

vers qu'on retient de lui, et que tout le monde cite, sont rimés et je soutiens encore que Cinna, Athalie, Phèdre, Iphigénie, étant rimées, quiconque voudrait secouer ce joug en France serait regardé comme un artiste faible qui n'aurait pas la force de le porter.

En qualité de vieillard, je vous dirai une anecdote. Je demandais un jour à Pope pourquoi Milton n'avait pas rimé son poëme, dans le temps que les autres poëtes rimaient leurs poëmes, à l'imitation des Italiens; il me répondit: Because he could not.

Je vous ai dit, monsieur, tout ce que j'avais sur le cœur. J'avoue que j'ai fait une grosse faute, en ne fesant pas attention que le comte Leicester s'était d'abord appelé Dudley; mais si vous avez la fantaisie d'entrer dans la chambre des pairs et de changer de nom, je me souviendrai toujours du nom de Walpole avec l'estime la plus respectueuse.

Avant le départ de ma lettre, j'ai eu le temps, monsieur, de lire votre Richard III. Vous seriez un excellent attorney general. Vous pesez toutes les probabilités; mais il paraît que vous avez une inclination secrète pour ce bossu. Vous voulez qu'il ait été beau garçon, et même galant homme.

Le bénédictin Calmet a fait une dissertation pour prouver que Jésus-Christ avait un fort beau visage. Je veux croire avec vous que Richard III n'était ni si laid ni si méchant qu'on le dit, mais je n'aurais pas voulu avoir affaire à lui. Votre rose blanche et votre rose rouge avaient

de terribles épines pour la nation.

Those gracious kings are all a pack of rogues.

En vérité, en lisant l'histoire des York, des Lancastre et de bien d'autres, on croit lire l'histoire des voleurs

de grands chemins. Pour votre Henri VII il n'était qu'un coupeur de bourse, etc.

Je suis avec respect, etc.

CLXXV.

A MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.

15 juillet.

La femme du protecteur est protectrice, la femme du ministre de la France pourra prendre le parti des Français contre les Anglais, avec qui je suis en guerre. Daignez juger, madame, entre M. Walpole et moi. Il m'a envoyé ses ouvrages, dans lesquels il justifie le tyran Richard III, dont ni vous ni moi ne nous soucions guère; mais il donne la préférence à son grossier bouffon Shakespeare sur Racine et sur Corneille, et c'est de quoi je me soucie beaucoup.

Je ne sais par quelle voie M. Walpole m'a envoyé sa déclaration de guerre; il faut que ce soit par M. le duc de Choiseul, car elle est très spirituelle et très polie. Si vous voulez, madame, être médiatrice de la paix, il ne tient qu'à vous. J'en passerai par ce que vous ordonnerez. Je vous supplie d'être juge du combat. Je prends la liberté de vous envoyer ma réponse. Si vous la trouvez raisonnable, permettez que je prenne encore une autre liberté, c'est de vous supplier de lui faire parvenir

ma lettre, soit par la poste, soit par M. le comte du

Châtelet.

Vous me trouverez bien hardi; mais vous pardonnerez à un vieux soldat qui combat pour sa patrie, et qui, s'il a du goût, aura combattu sous vos ordres.

CLXXVI.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Vous savez,

27 juillet.

mon cher ange, que vos ordres me sont sacrés, et que le souffleur de la Comédie aura son petit recueil, si la douane des pensées le permet. J'ai adressé le paquet à Briasson le libraire, et l'ai prié de le faire rendre audit souffleur. Le succès de cette affaire dépend de la chambre syndicale. Vous savez que j'ai peu de crédit dans ce monde. J'espère en avoir un peu plus dans l'autre, grace aux bons exemples que je donne.

Je ne suis pas revenu de ma surprise, quand on m'a appris que ce fanatique imbécile d'évêque d'Anneci, soi-disant évêque de Genève, fils d'un très mauvais maçon, avait envoyé au roi ses lettres et mes réponses. Ces réponses sont d'un père de l'église qui instruit un sot. Je ne sais si vous savez que cet animal-là a encore sur sa friperie un décret de prise de corps du parlement de Paris, qu'il s'attira quand il était porte - Dieu à la Sainte-Chapelle-Basse. En tout cas, je suis très bien avec mon curé, j'édifie mon peuple; tout le monde est content de moi, hors les filles.

Que Dieu vous ait en sa sainte garde, mes chers anges! Je ne sais pas ce que c'est que la vie éternelle, mais celle-ci est une mauvaise plaisanterie.

A propos, j'ai coupé la tête à des colimaçons : leur tête est revenue au bout de quinze jours; le tonnerre les a tués; dites à vos savans qu'ils m'expliquent cela.

CORRESPONDANCE. T. IX.

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