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exemple de la tolérance que l'impératrice donne au monde. Les princes jusqu'ici ont été assez infortunés pour ne connaître que la persécution. L'Espagne s'est détruite elle-même en chassant les Juifs et les Maures. La plaie de la révocation de l'édit de Nantes saigne encore en France. Les prêtres désolent l'Italie. Les pays d'Allemagne gouvernés par les prélats sont pauvres et dépeuplés, tandis que l'Angleterre a doublé sa population depuis deux cents ans, et décuplé ses richesses. Vous savez que les querelles de religion, et l'horrible quantité de moines qui couraient comme des fous du fond de l'Égypte à Rome, ont été la vraie cause de la chute de l'empire romain; et je crois fermement que la religion chrétienne a fait périr plus d'hommes, depuis Constantin, qu'il n'y en a aujourd'hui dans l'Europe.

Il est temps qu'on devienne sage, mais il est beau que ce soit une femme qui nous apprenne à l'être. Le vrai système de la machine du monde nous est venu de Thorn, de cette ville où l'on a répandu le sang pour la cause des jésuites. Le vrai système de la morale et de la politique des princes nous viendra de Pétersbourg, qui n'a été bâtie que de mon temps, et de Moscou, dont nous avions beaucoup moins de connaissance que de Pékin.

Pierre-le-Grand comparait les sciences et les arts au sang qui coule dans les veines; mais Catherine, plus grande encore, y fait couler un nouveau sang. Non seulement elle établit la tolérance dans son vaste empire, mais elle la protége chez ses voisins. Jusqu'ici on n'a fait marcher des armées que pour dévaster des villages, pour voler des bestiaux et détruire des moissons. Voici la première fois qu'on déploie l'étendard de la guerre uniquement pour donner la paix et pour rendre les hommes

heureux. Cette époque est sans contredit ce que je connais de plus beau dans l'histoire du monde.

Nous avons aussi des troupes dans ce petit pays de Ferney, où vous n'avez vu que des fêtes, et où vous avez si bien joué le rôle du fils de Mérope. Ces troupes y sont envoyées à peu près comme les vôtres le sont en Pologne, pour faire du bien, pour nous construire de beaux grands chemins qui aillent jusqu'en Suisse, pour nous creuser un port sur notre lac Léman : aussi nous les bénissons, et nous remercions M. le duc de Choiseul de rendre les soldats utiles pendant la paix, et de les faire servir à écarter la guerre, qui n'est bonne à rien qu'à rendre les peuples malheureux.

Si vous allez ambassadeur à la Chine, et si je suis en vie quand vous serez arrivé à Pékin, je ne doute pas que vous ne fassiez des vers chinois comme vous en faites de français. Je vous prierai de m'en envoyer la traduction. Si j'étais jeune, je ferais assurément le voyage de Pétersbourg et de Pékin; j'aurais le plaisir de voir la plus nouvelle et la plus ancienne création. Nous ne sommes tous que des nouveau-venus en comparaison de messieurs les Chinois; mais je crois les Indiens encore plus anciens. Les premiers empires ont été sans doute établis dans les plus beaux pays. L'Occident n'est parvenu à être quelque chose qu'à force d'industrie. Nous devons respecter nos premiers maîtres.

Adieu, monsieur; je suis le plus grand bavard de l'Occident. Mille respects à madame la comtesse de Schouvalof.

XVI

A M. LE MARQUIS D'ARGENCE DE DIRAC.

A Ferney, 1er octobre.

Par votre lettre du 20 de septembre, mon cher philosophe militaire, vous m'apprenez que MM. de Broglie s'imaginent que je ne leur suis pas attaché : cela prouve que ni MM. de Broglie ni vous n'avez jamais lu le Pauvre Diable; il a pourtant été imprimé bien souvent. Vous y auriez trouvé ces vers-ci, lesquels sont adressés à un pauvre diable qui voulait faire la campagne :

Du duc Broglie osez suivre les pas;
Sage en projets et vif dans les combats,
Il a transmis sa valeur aux soldats;
Il va venger les malheurs de la France:
Sous ses drapeaux marchez dès aujourd'hui,
Et méritez d'être aperçu de lui.

Pour moi, je suis un pauvre diable environné actuellement du régiment de Conti, dont trois compagnies sont logées à Ferney. Si elles étaient venues il y a dix ans, elles auraient couché à la belle étoile. Je fais ce que je peux pour que les officiers et les soldats soient contens; mais mon âge et mes maladies ne me permettent pas de faire les honneurs de mon ermitage comme je le voudrais. Je ne me mets plus à table avec personne. J'achève ma carrière tout doucement, et quand je la finirai, vous perdrez un serviteur aussi attaché qu'inutile.

XVII.

A M. LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI.

A Ferney, 1er octobre.

Je suis encore entre le mont Jura et les Alpes, monsieur, et j'y finirai bientôt ma vie. Je n'ai point reçu la lettre par laquelle vous me fesiez part de votre chambellanie. Je vous aimerais mieux dans votre palais à Bologne que dans l'antichambre d'un prince. J'ai été aussi chambellan d'un roi, mais j'aime cent fois mieux être dans ma chambre que dans la sienne. On meurt plus à son aise chez soi que chez des rois; c'est ce qui m'arrivera bientôt.

En attendant, je vous présente mes respects.

XVIII.

A M. DAMILAVILLE.

2 octobre.

Fondez donc cette maudite glande, mon cher et digne ami. Que l'exemple de M. Dubois vous rende bien attentif et bien vigilant : vous n'avez pas, comme lui, cent mille écus de rente à perdre, mais vous avez à conserver cette ame philosophique et vertueuse, si nécessaire dans un temps où le fanatisme ose combattre encore la raison et la probité. Vous êtes dans la force de l'âge; vous serez utile aux gens de bien qui pensent comme il faut, et moi je ne suis plus bon à rien. Je suis actuellement obligé de me coucher à sept heures du soir. Je ne peux plus travailler.

Que Merlin ne fourre pas mon nom à la bagatelle que je lui ai donnée. Si par hasard son édition a quelque succès dans ce siècle ridicule, je lui prépare un petit

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morceau sur Henri IV, qu'il pourra mettre à la tête de la seconde édition, et je vous réponds que vous y retrouverez vos sentimens. Je finis ma carrière littéraire par ce grand homme, comme je l'ai commencée, et je finis comme lui. Je suis assassiné par des gueux; Cogé est mon Ravaillac.

Adieu, mon cher ami; je suis trop malade pour dicter long-temps; mais ne jugez point de mes sentimens par la brièveté de mes lettres.

Faudra-t-il que je meure sans vous revoir!

XIX.

A M. MOREAU,

INSPECTEUR GÉNÉRAL DES PÉPINIÈRES DE FRANCE.

Au château de Ferney, le 4 octobre.

Monsieur, voici le mois d'octobre; il est dans nos cantons le vrai mois de décembre. J'ai fait tous les préparatifs nécessaires pour planter, et je plante même dès aujourd'hui quelques arbres qui me restaient en pépinière.

J'attendrai l'effet de vos bontés pour planter le reste. Je crois que la rigueur du climat ne permet guère de faire un essai aussi considérable, et qu'il ne faut hasarder que ce qui pourrait remplir une charrette. Si elle peut contenir plus de cent arbres, à la bonne heure; mais je crois que vingt-cinq tiniers, vingt-cinq ormes, autant de platanes, autant de peupliers d'Italie, suffiront pour cette année.

Je réclame donc, monsieur, les bontés que vous avez voulu me témoigner. J'enverrai une charrette à Lyon pour prendre ces arbres; et si la gelée était trop forte chez moi lorsqu'ils arriveront à Lyon, je les ferais mettre en pépinière à Lyon même, chez un de mes amis. Il n'y

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