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CIX.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

15 févrie

Je vais bien vous ennuyer, mon cher ange; je vous envoie une profession de foi que je fis l'autre jour à un de mes amis *. Je vous donne pour pénitence de la lire; expiez par là votre énorme péché d'avoir jugé témérairement votre prochain. Vous sentez bien que c'est absolument Saint-Hyacinthe, et non pas moi, qui a dîné.

Je sais qu'il y a des fanatiques et des furieux ; je sais que les gens qui pensent sont condamnés aux bêtes. L'Europe réclame, l'Europe crie; mais

La sagesse n'est rien, la force a tout détruit.

Je suis trop vieux pour déménager; cependant, s'il faut aller mourir ailleurs, je prendrai ce parti; ma haine contre certains monstres est trop forte.

J'ai ouï dire qu'on avait envoyé quelque chose à M. Suard. Je ne lui ai certainement rien envoyé, et le grand point est qu'il rende justice à cette vérité. Il est très certain qu'il n'y a personne dans Paris qui puisse dire que je lui aie fait tenir un plat de ce Diner auquel je n'assistai jamais. Il y a d'autres gens qui envoient.

Pour l'Homme aux quarante écus, on voit aisément que c'est l'ouvrage d'un calculateur : le ministère en doit être content. Je n'envoie jamais de brochures à Paris, mais je crois qu'on peut vous faire tenir celle-là sans vous compromettre. Je la chercherai si vous en êtes curieux, et vous l'aurez, mon très cher ange; vous n'avez qu'à ordonner.

* Foyez la dernière lettre à M. Damilaville, du 8 février. (Ê. de K.)

CX.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

19 février.

Mon cher ange, le dernier article de votre lettre du 12 de février redouble toutes mes afflictions. Ce qui peut me consoler, c'est que madame d'Argental n'est pas entre les mains d'un charlatan; j'espère beaucoup d'un vrai médecin, et encore plus de la nature. Je vous demande en grace, mon cher ange, de ne me pas laisser ignorer son état, et de vouloir bien quelquefois m'en faire écrire des nouvelles. Nous avons beaucoup de maladies dans nos cantons; j'en ai ma bonne part. La fin de la vie est triste, le commencement doit être compté pour rien, et le milieu est presque toujours un orage.

Sirven est revenu. Celui-là pourrait dire, plus qu'un autre, combien la vie est affreuse. Sa famille mourra des coups de barre que Calas a reçus, et sa femme en est

déja morte.

Vous avez reçu sans doute la copie d'une lettre que j'ai écrite à propos de ce Diner. Je ne suis pas encore bien sûr que le Militaire philosophe soit de SaintHyacinthe; mais les fureteurs de la littérature le croient, et cela suffit pour faire penser qu'il n'était pas indigne de dîner avec le comte de Boulainvilliers.

Au reste, je n'écris jamais à Paris que dans le goût de la lettre dont je vous ai envoyé copie. Voici une petite liste de la dixième partie des ouvrages qui paraissent en Hollande et à Bâle coup sur coup; vous sentez combien il serait absurde de les imputer à un seul homme. Il est impossible que j'y aie la moindre part, moi qui ne suis

occupé que du Siècle de Louis XIV, dont je vous enverrai bientôt les deux premiers volumes.

ange, de

pense

des com

Je vous prie, mon cher me mander ce que vous pensez et ce que le public éclairé mentaires sur Racine. On dit que Fréron y a beaucoup de part. Quel siècle que celui où un Fréron et un Boisjermain osent juger Monime, Clytemnestre, Phèdre, Roxane et Athalie! Je serais bien fâché de mourir sans in'être plaint vivement à vous de toutes ces abominations. Pleurer avec ce qu'on aime est la ressource des opprimés.

Il y a bien des tripots. Celui de la Sorbonne, celui de la Comédie, et celui que vous avez quitté, sont les trois plus pitoyables. Je quitterai bientôt le grand tripot de ce monde, et je n'y regretterai guère que vous.

Quand vous verrez votre successeur, voulez-vous bien lui dire à quel point je l'estime et révère, en le supposant philosophe.

Mille tendres respects à vous, mon cher ange, et à la malade.

CXI.

A MADAME LA MARQUISE D'ANTREMONT*.

20 février.

Vous n'êtes point la Desforges-Maillard.
De l'Hélicon ce triste hermaphrodite
Passa pour femme, et ce fut son seul art;
Dès qu'il fut homme il perdit son mérite.
Vous n'êtes point, et je m'y connais bien,
Cette Corinne et jalouse et bizarre
Qui par ses vers, où l'on n'entendait rien
En déraison l'emportait sur Pindare.

* Elle avait envoyé des vers a M. de Voltaire, en lui marquant qu'elle n'était pas une femme sopposée comme mademoiselle Desforges-Maillard.

(E. de K.)

Sapho plus sage, en vers doux et charmans,

Chanta l'amour; elle est votre modèle:
Vous possédez son esprit, ses talens;
Chantez, aimez; Phaon sera fidèle.

Voila, madame, ce que je dirais si j'avais l'âge de vingt-un ans, mais j'en ai soixante-quatorze passés ; vous avez de beaux yeux, sans doute, cela ne peut être autrement, et j'ai presque perdu la vue: vous avez le feu brillant de la jeunesse, et le mien n'est plus que de la cendre froide : vous me ressuscitez; mais ce n'est que pour un moment, et le fait est que je suis mort. C'est du fond de mon tombeau que je vous souhaite des jours aussi beaux que vos talens.

J'ai l'honneur d'être, etc.

CXII.

A M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.

Ferney, le 24 février.

Je n'ai jamais prétendu, monsieur, qu'on dût jamais s'offenser d'être comparé à Jean-Baptiste Colbert *. J'ai écrit seulement qu'un ministre de la guerre et de la paix n'avait pas plus de rapport à un contrôleur - général qu'avec un archevêque de Paris. Je vous avoue même que je ne souhaiterais point du tout que M. le duc de Choiseul eût le contrôle général : il fricasserait tout en deux ans : tout l'argent irait en gratifications, pensions, bienfaits, magnificences. Un contrôleur - général doit avoir la main et le cœur un peu serrés. M. le duc de Choiseul a des vices tout contraires à cette vertu né

* M. de Voltaire avait désapprouvé que, dans des vers adressés à M. le duc de Choiseul, M. le comte de La Touraille eût comparé ce ministre à Colbert. Voyez ci-dessus la lettre du 29 janvier. (Ed. de K.)

cessaire. Il ne se corrigerait jamais de son humeur généreuse et bienfesante. Quand milord Bolingbroke fut fait secrétaire d'état, les filles de Londres, qui fesaient alors la bonne compagnie, se disaient l'une à l'autre : Betty, Bolingbroke est ministre! Huit mille guinées de rente; tout pour nous.

A propos de générosité, je prends la liberté de demander à monseigneur le prince de Condé le congé d'un soldat de sa légion. J'ai fait un peu les honneurs de ma chaumière à cette légion romaine. J'en rappellerais le souvenir à M. le comte de Maillé s'il était à Paris. J'explique toutes mes raisons à son altesse sérénissime; mais ces raisons seront bien moins fortes qu'un mot de votre bouche, et je vous supplie d'avoir la bonté de dire ce mot à un prince qui ne se fait pas prier quand il s'agit de faire des heureux.

Agréez, monsieur, les respectueux sentimens du vieux malade de Ferney.

CXIII.

A M. LE PRESIDENT HÉNAULT.

A Ferney, 26 février.

Mon cher et illustre confrère, vous ne voulez donc pas placer le maréchal de La Meilleraie parmi les surintendans? Il le fut pourtant en 1648; c'est un fait avéré.

Je vous avais proposé aussi de mettre Abel Servien à sa place, avec Nicolas Fouquet, puisqu'ils furent tous deux toujours surintendans conjointement.

Mais j'ai de plus grandes plaintes à vous faire. Comment avez-vous pu, dans votre nouvelle édition, démentir la bonté de votre caractère et la douceur de vos

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