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et grandir, et nous descendre! Voilà au contraire ce qui nous attache à cette période si différente de notre histoire qui commence à l'avènement de Henri IV et se prolonge jusqu'au règne tout personnel de Louis XIV, que marquent successivement le triste mariage du roi avec Mme Scarron, la révocation de l'édit de Nantes, l'adoption des Stuarts et les déplorables guerres de la succession d'Espagne, à travers un siècle entier de grande politique, où nous voyons avec un orgueil bien légitime des guerres sagement conçues, fortement conduites, couronnées par d'éclatans et utiles triomphes; le traité de Westphalie et celui des Pyrénées portant nos frontières au Rhin, aux Pyrénées et aux Alpes; un gouvernement ferme et résolu travaillant sans relâche à transformer une monarchie féodale en une royauté populaire, et, sans détruire une aristocratie nécessaire et sans cesse renouvelée, préparant de toutes parts l'empire de l'égalité civile; une juste tolérance religieuse, exercée par des princes mêmes de l'église et des cardinaux hommes d'état, distribuant avec discernement les plus hautes charges, les titres de duc et les bâtons de maréchal aux protestans comme aux catholiques, quand la gloire les désignait au choix du monarque (1); l'augmentation toujours croissante de la marine, de l'industrie, du commerce, encouragés et soutenus sans vain système et sans autre objet que l'intérêt du pays; enfin ce long et continuel épanouissement de grands hommes en tout genre, qui faisaient de la France l'école de l'Europe. Nous l'avons dit ailleurs dans un grand siècle, tout est grand (2); tout nous intéresse donc en cette grande époque, les choses et les hommes, les femmes aussi, et jusqu'aux détails de la société et des mœurs. Tel est le sentiment qui de bonne heure a tourné nos regards vers le XVIIe siècle, où se rencontrent ensemble les sujets habituels de notre admiration et de nos travaux, Descartes, Corneille et Poussin, à côté de Henri IV, de Richelieu et de Mazarin; M de La Fayette, Ma de Hautefort, Mme de Sévigné, Mme de Longueville avec Condé et Turenne, Pascal et Bossuet. Et c'est ce même sentiment qui, maintenant que nous sommes en possession de la clé du Cyrus, nous portera peut-être un jour à nous servir d'un roman pour illustrer l'histoire, et continuer, par un chemin assez nouveau, nos vieilles études sur un siècle cher à notre patriotisme.

V. COUSIN.

(1) Par exemple, en 1644, sur neuf ou dix maréchaux, il y avait cinq protestans, La Force, Châtillon, Turenne, Gassion, Rantzau.

(2) Jacqueline Pascal, premières études sur la société et les femmes illustres du dixseptième siècle, introduction, p. 1

LE

THÉATRE LITTÉRAIRE

LA JEUNESSE,

comédie en cinq actes et en vers, par M. Émile Augier.

Avant d'entrer dans l'examen de la Jeunesse, j'éprouve le désir d'exposer en manière de préface quelques considérations sur la carrière littéraire de l'auteur, et sur la direction qu'il a jusqu'à présent imprimée à son talent. Ce ne sont point des conseils, mais de simples observations que je veux soumettre au nouvel académicien, en le priant de ne voir dans toutes mes paroles que l'expression de la sympathie que m'inspire un talent très littéraire. Après beaucoup de tâtonnemens accompagnés de quelques faux pas, après beaucoup de recherches ingénieuses et de trop nombreuses concessions au faux goût du jour et à un système littéraire rétrograde, M. Augier semble vouloir enfin entrer dans la voie qu'il aurait dû suivre dès ses débuts. Si nous étions sûr qu'il y marchera résolûment, nous supprimerions volontiers nos observations; mais comme il nous semble remarquer encore certaines hésitations dans l'allure du poète, il est à craindre qu'il ne rebrousse chemin, s'il n'est encouragé à marcher en avant. C'est pourquoi nous lui disons immédiatement : Ne retournez pas en arrière; lorsque vous serez tenté du démon de l'art de convention et de la poésie artificielle, souvenez-vous du quatrième acte de la Jeunesse. Allez, au nom de ce quatrième acte tous vos péchés vous sont remis.

Selon le philosophe grec, le premier axiome de la sagesse était de se connaître soi-même. Cet axiome a des applications ailleurs qu'en

morale et en philosophie : il en a de très importantes dans la littérature et dans les arts. Se connaître soi-même n'est pas seulement le commencement de la sagesse et le principe de toute vertu, c'est aussi le commencement de toute intelligence et le principe de tout talent. Le premier devoir de l'artiste ou du poète est de découvrir la force particulière que la nature a mise en lui; son second devoir est de ne pas laisser cette force oisive, pour courir après des qualités qu'il ne possède pas et qu'il ne possédera peut-être jamais. Ni l'un ni l'autre de ces devoirs n'est facile à exécuter. Il n'est pas toujours aisé de découvrir la force originale qui est en nous, surtout dans une époque de civilisation vieillie et compliquée comme la nôtre, où la spontanéité de nos instincts est comprimée par mille tyrannies artificielles. Notre éducation, nos préjugés, le milieu social dans lequel nous vivons, les modes et les engouemens dont nous subissons l'influence, le despotisme de la tradition, les souvenirs de nos innombrables lectures, concourent à dérober à nos poursuites cette force si mystérieuse déjà et si bien cachée. Il faut un singulier courage pour oser tenter la conquête de notre originalité; il en faut un plus grand encore pour nous contenter d'être ce que nous sommes et pour ne rien désirer au-delà. Une fois qu'il a découvert son originalité et trouvé sa voie, l'artiste a besoin d'une très rare modestie pour n'ètre pas tenté de mentir à sa nature et de franchir les limites qui lui ont été imposées. Ce ne sont pas les qualités qu'il possède qui lui semblent désirables, mais celles qu'il ne possède pas. On a beaucoup parlé en tout temps de l'ingratitude des fils qui désavouent leurs pères, et de la vanité des gens qui se parent de titres qu'ils n'ont pas; mais la critique a-t-elle jamais assez flétri l'ingratitude des artistes envers la nature et la làcheté qui les empêche de se montrer tels qu'ils sont?

Non-seulement cette ingratitude et cette lâcheté ne sont pas punies, mais elles sont encouragées par la critique et par le public. Il existe chez le peuple français une disposition d'esprit qui n'existe chez aucune autre nation. Le peuple français, qui depuis tantôt deux siècles et demi est atteint de très grandes infirmités littéraires, du mal de la phrase par exemple et de la littérature pompeuse, est toujours disposé à réclamer du poète autre chose que ce qu'il sait et ce qu'il peut faire. Notre public, qui est resté très classique et très académique malgré tous les efforts des romantiques, croit à la distinction des genres. Il ne juge pas des œuvres d'art d'après leur excellence, mais d'après le genre auquel elles appartiennent. Il dénigre volontiers ce qui l'amuse et exalte ce qui l'ennuie. Il classera volontiers Gil Blas ou Manon Lescaut par exemple dans la littérature secondaire, mais en revanche il accordera toute son admira

tion aux illisibles tragédies de Voltaire. Ne lui demandez pas si l'œuvre sur laquelle il doit se prononcer est bonne ou mauvaise; l'étiquette de l'œuvre lui suffit: le roman, genre secondaire, la tragédie, genre sérieux, et tout est dit. Il sera toujours plus honorable chez nous d'avoir fait une mauvaise tragédie que d'avoir fait un conte admirable; Zaïre éclipsera toujours Candide, et M. Ponsard aura toute la popularité à laquelle n'atteindra jamais M. Mérimée. Il en est ainsi dans tous les autres arts. Un peintre d'animaux, si habile qu'il soit, ne passera jamais pour un grand artiste; mais si quelque pauvre diable, sans imagination et sans génie, s'avise de barbouiller de ridicules tableaux de sainteté ou de maussades tableaux d'histoire, le public lui sait le meilleur gré de ses impuissantes aspirations. Cette singulière méthode de juger les œuvres de l'esprit pourrait, je le sais, être défendue avec succès on pourrait dire qu'elle a son origine dans un sentiment très élevé, l'amour des choses nobles et sérieuses; mais on pourrait répondre aussi qu'elle gêne la liberté de l'esprit, qu'elle éloigne le talent de la vérité et de la nature, et qu'elle n'est après tout qu'un reste de l'ancien régime qui a survécu à toutes nos révolutions, et dont il serait temps enfin de nous débarrasser. Cette méthode de jugement, cette distinction tranchée entre les genres littéraires, cette habitude de classer les œuvres, non d'après leur valeur, mais d'après leur étiquette, viennent en droite ligne d'une époque à jamais glorieuse, mais qui, malgré toutes ses gloires, a été et sera longtemps encore funeste à l'intelligence française, je veux dire le siècle de Louis XIV. Ces habitudes d'esprit pouvaient être excellentes pour le public très restreint et très raffiné de cette époque, mais de notre temps elles sont un préjugé, un ridicule et une preuve de mauvais goût. Quand je vois un homme de mon temps admirer une médiocre tragédie, parce que c'est une tragédie, l'idée du Bourgeois Gentilhomme se présente aussitôt à mon esprit, et je crois avoir sous les yeux M. Jourdain en personne. Cette détestable manière de juger est donc très défavorable à l'art et à la littérature; elle décourage l'artiste ou le poète, qui, s'effrayant des dédains du public lettré, fait alors tout ce qu'il faut pour fausser sa nature. Désireux d'atteindre à la renommée, il cherche les qualités qui lui manquent, et trouve les défauts qu'il n'avait pas. Il était franc d'allures, il se fait prétentieux; il excellait dans le style familier, il se guinde pour attraper le sublime, qui s'obstine à le fuir. Il gâte son talent, mais il a la gloire d'avoir tenté des assauts dont il est sorti écloppé et invalide pour tout le reste de ses jours. Et le public et la critique, loin de blâmer ses tentatives criminelles, lui en savent bon gré, et l'encouragent à recommencer. La littérature et l'art véritable en souffrent,

mais la distinction des genres tranchés et la gloire de la littérature stérile et pompeuse sont sauvées.

Après ces préjugés de l'opinion, la cause qui contribue le plus à fausser la nature des artistes est l'engouement de l'heure présente et de la mode nouvelle. Nous sommes un peuple d'imitateurs et de courtisans. Dès que le succès brille à l'horizon, toute la nation française tombe à genoux et le salue. Là où un Français a sauté, toute la nation française saute à sa suite. Dès qu'une innovation littéraire s'est produite, tout le peuple des artistes marche dans la voie de cette innovation, et cherche à réussir, non plus en innovant, mais en imitant et en répétant. Grâce à cette heureuse disposition, chacun se dispense de chercher son originalité et étouffe à plaisir les facultés dont la nature l'avait doué. Tel qui était né pour faire des sonnets fait des drames, parce que la vogue du moment est au drame; tel qui était né pour faire des comédies s'essouffle à faire des odes, parce que la vogue du moment est à la poésie lyrique. Incalculable est la somme de talent que chaque génération gaspille ainsi en pure perte. Il fut un temps en France où tout le monde faisait des tragédies: il fallait avoir produit au moins une tragédie pour avoir droit d'entrée dans la littérature; quiconque n'avait pas commis un de ces crimes contre la nature et le bon sens était tenu pour un médiocre esprit et presque pour un malhonnête homme. Sous la restauration, quelques hommes de génie donnent à la France une certaine poésie qui lui avait toujours manqué, la poésie du pur sentiment et de l'émotion individuelle; tous les poètes, grands et petits, se mettent à rêver au clair de lune, à faire l'amour en nacelle et à verser des flots de rimes lamentables et mélancoliques. Puis vient le tour du drame romantique; tous les théâtres sont alors encombrés d'œuvres insensées, et toute la littérature se prend à rêver meurtres, viols, incestes, coupes empoisonnées, arquebuses à rouet, tapage forcené et quadruple galimatias. Enfin, un jour que la France était sous un astre néfaste, une certaine Lucrèce vint au monde; il n'en fallut pas davantage pour déterminer une réaction de déraisonnable bon sens, plus fatale à la littérature que les extravagances des années précédentes. A partir de ce moment, une averse de tragédies grecques et romaines, de contrefaçons de l'antique, est venue pleuvoir comme une douche intempestive sur l'imagination du public, qui en grelotte encore, et qui, pour dissiper cette humidité malsaine, s'est mis à avaler avec empressement tous les alcools réalistes qu'on a bien voulu lui présenter. Que voulez-vous? ce pauvre public avait eu si froid dans les catacombes pleines de moisissures où on l'avait fait séjourner. Mais cette nouvelle réaction n'est pas moins curieuse que la précédente. Deux ou trois jeunes gens, ennemis de la tragé

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