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REVUE SCIENTIFIQUE

LES ADIEUX DE 1857 A LA SCIENCE

Multi pertransibunt, et augebitur scientia.
(BACON.)

Qu'a fait pour la science l'année 1857? Je commence par signaler cette question comme prématurée, et si j'essaie d'y répondre, c'est en faisant tout de suite mes réserves. Le biographe d'une année qui expire est à peu près dans la même position que celui qui prononce l'éloge d'un homme qui vient de disparaître les faits vus de trop près ne sont pas en bonne perspective. On peut toutefois, à défaut d'un aperçu définitif, donner quelques indications sur les plus récens progrès de l'esprit humain dans la carrière de l'observation de la nature. Suivre ces progrès en Europe et ailleurs, tel sera l'objet d'une esquisse trop voisine de la période qui finit pour prétendre à la précision de l'histoire; mais je me console de ce qu'il pourra y avoir ici d'incomplet par cette citation :

L'art d'ennuyer c'est celui de tout dire.

Ce sera donc une chance de moins contre moi.

L'année 1857 est ou était la septième de la sixième décade de ce siècle. L'activité de la vie moderne fait du siècle, je l'ai dit plus d'une fois, une période trop longue, et qu'il est besoin de subdiviser en décades qui soient à la période séculaire ce que la petite période de la semaine est à l'année. Le mot est consacré chez les Grecs, ces Français du monde antique, qui ont parlé de vieillir un grand nombre de décades d'années :

γηράσκειν πολλῶν εἰς ἐτέων δεκάδας.

Il est bon que la société universelle règle ses comptes un peu plus souvent que tous les cent ans. L'institution des prix décennaux m'a toujours paru une pensée féconde, propre à éveiller de nobles ambitions et à payer en juste renommée des travaux utiles à tous. Il faut y revenir. Rien au reste n'empêchera que le concours soit universel et que toutes les nations y soient appelées. Il n'y aura plus de frontières pour la pensée. Paris prendra la devise de la Rome moderne : Urbi et orbi. Il dira: « Pour la France et pour le monde entier, aux hommes de génie, le genre humain reconnaissant! >>

Avant d'aller plus loin, je veux répondre à l'inculpation de déprécier la science en la vulgarisant. Copernic disait fièrement : Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens, et il avait raison. M. Arago dans ses cours, où les auditeurs se pressaient par centaines, essayait, avec une grande habileté, de faire comprendre aux esprits les moins préparés comment l'astronomie et l'optique étaient arrivées à leurs brillantes découvertes. Il déployait un art infini et une logique profonde dans cette difficile entreprise. Je n'ai point cette prétention. Ce que j'offre au public, ce sont les résultats de la science, et non point ses procédés les plus ingénieux. Qu'un astronome géographe détermine la position d'une localité, par exemple celle de NewYork aux États-Unis ; qu'il nous en fasse connaître la longitude et la latitude, qu'il fixe ainsi la longueur des trajets du Nouveau-Monde à l'ancien au travers de l'Atlantique : le public, les industriels qui veulent connaître ou utiliser les résultats du géographe ont-ils besoin de savoir comment ont été péniblement installés et vérifiés les instrumens astronomiques, par quelles formules on a conclu des observations les angles et les temps qu'on inscrit dans les éphémérides, et si la longitude a été obtenue par les satellites de Jupiter, par des transports de chronomètres, par une éclipse de soleil, par des occultations d'étoiles, par des culminations, ou enfin par des distances lunaires? J'ai quelquefois fait ce tour de force de conduire de pourquoi en pourquoi certains esprits curieux et surexcités jusqu'aux limites de nos conceptions mathématiques : j'ai toujours observé que ces notions trop difficiles et entrevues à grand'peine ne faisaient que glisser dans la pensée de ceux qui m'avaient forcé à tâcher de les initier à ces conceptions ardues. C'était un éclair qui ne faisait qu'éblouir sans éclairer, et, pour parler moins poétiquement, quand c'étaient des dames qui avaient eu cette belle fantaisie de savoir, la séance se terminait par un complet épuisement de toute aptitude à une attention prolongée, accompagné souvent d'un violent mal de tête. Il nous reste encore trois années entières de la présente décade, savoir : 1858, 1859 et 1860. Je rappelle que le xixe siècle a commencé le 1er janvier 1801, inauguré par la découverte de la planète Cérès, qui eut lieu ce jour même à Palerme, et qui honore l'attention vigilante du célèbre astronome Piazzi. Pendant les prochaines années, le ciel sera fort riche en beaux phénomènes, en éclipses, en marées, et en 1861, outre une éclipse totale de soleil, on verra la planète Mercure passer sur le disque de l'astre.

L'année 1857 a continué les années précédentes bien plus qu'elle n'a pris une brillante initiative dans aucun des points de la science. C'est le caractère général de cette année, on peut le dire, au physique et au moral. Les grands phénomènes de la nature et les grandes conceptions de l'esprit hu

main ont également manqué, mais le fonds social de nos connaissances s'est accru par des récoltes satisfaisantes.

Il est de règle qu'il n'y a jamais plus de sept éclipses, et jamais moins de deux. Il y a toujours au moins deux éclipses de soleil, ce qui a fait qu'en 1857, où il n'y avait en tout que deux éclipses, il n'y a pas eu d'éclipse de lune. Aucune année ne peut donc être plus pauvre en ce genre de phénomènes célestes. Nous aurons en 1858 deux éclipses de soleil et deux éclipses de lune. L'éclipse de soleil du 15 mars 1858 sera pour Paris, et surtout pour l'Angleterre, une des plus belles de ce siècle. C'est au milieu du jour que cette grande éclipse aura lieu. Il ne restera pour Paris qu'un dixième de la surface du soleil non couverte par l'interposition de la lune, et les rayons solaires pénétrant par de petites ouvertures, au lieu de dessiner des ronds à l'ordinaire, traceront sur les objets qui les recevront des croissans semblables au croissant de la lune qui vient d'être nouvelle; enfin les verres et les miroirs ardens ne produiront plus l'inflammation des matières combustibles. Le jour sera très affaibli, et comme à cette époque de l'année c'est la chaleur directe des rayons du soleil qui fait principalement la température du jour, il pourra se faire qu'on ressente pendant quelques minutes un froid très sensible qui du reste sera bien indiqué par le thermomètre, ainsi que je l'ai observé pendant l'éclipse de 1842. La première moitié de ce siècle a eu dix-huit éclipses de soleil visibles à Paris; il y en aura en tout vingt et une dans la seconde moitié. Après l'éclipse de 1858, il y en aura deux autres assez belles en 1860 et 1861. Toutes seront utiles à l'astronomie physique, car, relativement à la constitution intime de l'astre central de notre monde, on a dit une grande vérité par ce mot bizarre : « Rien n'est si obscur que le soleil. »

L'année 1857 a continué de nous fournir des petites planètes du groupe nombreux qui est entre Mars et Jupiter. C'est pour ainsi dire la monnaie de la planète que Képler indiquait comme devant manquer entre les deux planètes que je viens de nommer. L'année 1856 nous avait donné cinq de ces petits corps célestes; nous en avons huit découverts en 1857, ce qui fait en tout cinquante. MM. Pogson, Goldschmidt, Luther et Ferguson se partagent ces conquêtes, mais fort inégalement, car M. Goldschmidt a pour son compte découvert quatre de ces planètes. Sur ces cinquante planètes, deux ont été trouvées en Amérique, à l'observatoire de Washington, par M. Ferguson. On voit combien nous sommes loin des sept planètes de l'antiquité, qui même . n'arrivait à ce nombre qu'en mettant, contre toute analogie, le soleil et la lune au rang des planètes.

L'année qui vient de finir a été fort riche en comètes. On en a découvert six. La grande comète de Charles-Quint manque encore. C'est pour 1858 que les calculs astronomiques l'indiquent avec le plus de probabilité. Parmi les six comètes découvertes en 1857, il y en a une qui offre une importance ma-` jeure : c'est une réapparition de la comète périodique de Brorsen. Nous voilà donc en possession de cinq comètes dont l'orbite est connue. Ce sont les comètes de Halley, de Encke, de Biela, de Faye, de Brorsen. En général, il ne suffit pas que les calculs faits à une première apparition d'une comète indiquent son retour prochain, il faut au moins une réapparition pour être

sûr de la maîtriser par les formules de la mécanique. Ainsi il est arrivé que la comète de Vico, bien attendue et bien cherchée par un beau ciel, n'a pas reparu. Elle a été sans aucun doute disséminée dans l'espace par l'attraction inégale du soleil sur ses diverses parties. La comète de Biéla a été partagée en deux par suite d'actions du même genre. Le spectacle d'une comète passant devant une très petite étoile, et ne l'affaiblissant pas sensiblement, a été observé cette année plusieurs fois. Tout a confirmé l'idée que les comètes ne sont que des amas de poussière à grains fort écartés, et ne trahissant leur existence que par leur visibilité, visibilité qui, même pour les six comètes de cette année, n'a pu être rendue sensible qu'au moyen du télescope. Comme plusieurs de ces comètes suivaient à peu près la même route dans le ciel, on a parlé de la possibilité que plusieurs provinssent d'une même comète séparée en plusieurs par l'action du soleil. On conçoit que, d'après l'extrême ténuité des élémens dont se composent les comètes et le grand éloignement de leurs diverses particules, joints au peu d'action que ces particules exercent les unes sur les autres, il se peut facilement opérer une séparation de leurs élémens sous l'empire des forces étrangères. Lorsque, sous l'action du soleil et de la lune, nos océans sont soulevés et tourmentés de mille manières par les marées, leurs eaux sont énergiquement retenues par la pesanteur, dont l'action de la lune n'est que la neufmillionième partie. Tout se borne donc à un petit mouvement d'oscillation. Sous une pareille influence, les diverses parties d'une comète très peu consistante seraient arrachées à l'ensemble, et lancées à part dans les espaces célestes.

On m'a demandé de vive voix et par écrit pourquoi on avait vu tant de comètes en 1857, tandis qu'en 1856 on n'en a pas découvert une seule. La raison est qu'on en a beaucoup cherché. Tous les astronomes voulaient trouver la comète tant attendue pour 1848 d'abord, et recalculée ensuite pour 1858, avec deux ans d'incertitude. On demandait à M. Arago pourquoi on trouve plus de comètes en hiver qu'en été. Il répondit : « C'est que les nuits sont deux fois plus longues en hiver. Elles sont de seize heures, tandis qu'en été elles ne durent que huit heures, et de plus il y a en été plusieurs heures d'un crépuscule qui nuit beaucoup à la découverte d'objets si faibles en éclat. » Tout conspire contre les malheureux observateurs du ciel. Si le ciel est couvert ou même un peu voilé, les objets délicats ne sont plus visibles, et par un beau ciel bien transparent la lumière de la lune, celle des crépuscules et des aurores sont presque aussi nuisibles à la pénétration des instrumens dans l'espace. Herschel n'admettait pendant toute une année que quarante heures de parfait fonctionnement pour ses télescopes. Laplace avait proposé de porter les télescopes dans l'atmosphère légère et pure des hautes montagnes. C'est ce qu'a fait en 1856, au pic de Ténériffe, l'excellent astronome royal d'Écosse, Piazzi Smyth, fils de l'illustre amiral de ce nom, lequel avec une ardeur supérieure aux atteintes de l'âge continue ses recherches sur les corps célestes dans cet observatoire du château d'Hartwell où la restauration vint chercher Louis XVIII. Ce château appartient actuellement au docteur Lee, qui est lui-même un astronome aussi riche en savoir qu'en propriétés seigneuriales, et qui de plus consa

cre aux arts et aux sciences une partie considérable de ses revenus. La description du château d'Hartwell a été donnée par l'amiral Smyth en un beau volume aussi instructif qu'intéressant. Le docteur Lee est un des membres les plus actifs de la Société astronomique anglaise, qui a tant fait et qui fait tant encore pour la science. C'est dans un de ses derniers bulletins que l'astronome royal M. Airy a donné cette belle dissertation sur les moyens de déterminer la distance du soleil par l'observation de Mars en 1860 et en 1862. Nous sortirons enfin, il faut l'espérer, de la honteuse ignorance qui pèse sur un des points les plus importans de notre système solaire, savoir la distance fondamentale de la terre au soleil, distance sur laquelle il y a encore une incertitude de cinq cent mille lieues de quatre kilomètres. Je ne tiens pas outre mesure à la vie, mais j'avoue que je serais contrarié de mourir avant d'avoir vu disparaître cette tache de la belle science du ciel. Il n'est pas douteux qu'en 1860 et en 1862 comme en 1761 et en 1769, les observateurs se répandront sur les stations les plus favorables de notrẻ globe, et qu'enfin nous saurons! Je regrette de ne pouvoir donner une idée du mémoire de M. Airy, ce que je ne ferais qu'au moyen de longs développemens dont les premières assertions seraient oubliées avant que les conséquences définitives en eussent été tirées. Sans doute, M. Piazzi Smyth sera des premiers à porter son expérience, sa précision et son activité sur un des points les plus avantageux. Nous devons à cet astronome des dessins de la lune à diverses phases d'illumination qui surpassent de beaucoup la représentation de nos terrains d'ici-bas. Tout le monde attend avec grande impatience la publication prochaine de ses travaux au pic de Ténériffe, où, dans le moins de temps possible, il a obtenu le maximum de résultats utiles et curieux. Des photographies innombrables et d'une perfection sans pareille ont apporté sous nos yeux les laves du volcan encore actif qui forme la charpente de l'île. Le fameux arbre-dragon, espèce qui appartient exclusivement aux Canaries, s'y montre avec son âge prétendu de cinq mille ans. S'il était vrai, ce serait le patriarche des êtres vivans de notre terre.

L'observatoire Dudley, récemment établi à Albany, capitale politique de l'état de New-York, et qui est sous la direction de M. Gould, a consacré sa première illustration par la découverte de la cinquième comète de cette année. J'ai déjà dit aux lecteurs de la Revue que la veuve d'un sénateur de New-York, Mme Blandina Dudley, avait, de concert avec d'autres patriotes d'Albany, fourni des sommes considérables pour la fondation de cet observatoire, auquel la reconnaissance publique a donné le nom de son mari. Dans notre France, où nous avons l'habitude de laisser à l'autorité l'initiative de toutes les créations utiles, et où aucun établissement n'est solide que sous le patronage du gouvernement, nous ne nous figurons pas ce qu'en Angleterre et aux États-Unis on peut faire et on fait de grandes choses par des institutions privées munies d'une simple charte de reconnaissance légale. Des dons considérables ont été faits à l'observatoire d'Albany; mais aucun n'égale ceux de Mme Dudley: elle a donné un héliomètre du prix de 8,000 dollars (plus de 40,000 francs), et lorsqu'à l'inauguration récente de l'observatoire, pour fonder un revenu fixe aux observateurs, on a demandé

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